Guerre de Libye : Quand la propagande défigure le débat public
Rappels
- Jeudi 17 mars 2011 Le Conseil de sécurité des Nations Unies se prononce pour l’instauration d’une zone d’exclusion dans le ciel libyen. Le conseil autorise également "toutes les mesures nécessaires" – ce qui signifie, en langage diplomatique, des actions militaires – pour assurer la protection des populations civiles face à l’armée de Kadhafi.
- Samedi 19 mars 2011 Les États-Unis, la France et le Royaume-Uni lancent des raids aériens pour stopper la répression de la révolte. Ces frappes stoppent les forces pro-Kadhafi qui étaient aux portes de Benghazi.
Quelles sont les premières observations recueillies par Acrimed sur le traitement médiatique de cette guerre en Libye ?
Henri Maler. Avant même que ne commencent les bombardements, on a assisté à une véritable exaltation guerrière. Dès le vote de la résolution de l’ONU, la plupart des sites des quotidiens et des hebdos, impatients, nous prévenaient : « Le compte à rebours a commencé. » Il n’est pas exagéré de dire que le petit monde des grands médias s’est félicité de la perspective des bombardements sur la Libye, semblant oublier qu’une guerre est avant tout. une guerre. Entre les journalistes qui bombent le torse et ceux qui, à défaut de revêtir leur treillis, se mettent à parler comme les militaires, rien ne nous est épargné. Une rhétorique va-t’en guerre soutenue par une fièvre chauvine sur le rôle de « la France ». Qui a « frappé la première », pouvait-on lire à la une de la plupart des quotidiens, le lendemain des premiers bombardements. Cocorico, c’est la guerre !
Une guerre présentée comme indispensable.
Henri Maler. Inévitable et indiscutable. Or, qu’on la soutienne ou la réprouve - que l’on pense que l’intervention militaire était nécessaire (pour empêcher les forces armées de Kadhafi d’écraser la révolte à Benghazi) ou au contraire que l’on devait et pouvait l’éviter -, on est en droit d’attendre des médias qu’ils ne soient pas le service après-vente du ministère de la Défense, reprenant la moindre de ses informations et le moindre de ses termes, sans aucune distance critique. C’est à peine si les principaux médias osent parler de « guerre », alors que des centaines de missiles ont été tirés dès les premiers jours. Ils évoquent, non des bombardements, mais des « frappes » : des frappes « ciblées », nouvel avatar des « frappes chirurgicales ». On nous montre, à grand renfort d’images fournies par l’armée elle-même, le haut degré de précision et de technologie de « nos » armes.
Pourtant, cette guère soulève au moins quelques questions. Quelle place a été accordée aux divergences ? Le pluralisme des avis et analyses sur cette intervention a-t-il été respecté ?
Henri Maler. Dans leur emballement, la plupart des médias ont « oublié » de commencer par poser ces questions. Et quand des questions partielles ont surgi, après l’euphorie des premiers jours (sur les dissensions, le commandement, les objectifs), les interrogations sur la nécessité et la légitimité de cette guerre qui ne dit pas son nom - présentée, au fond, comme une opération humanitaire, et non comme une intervention militaire - étaient devenues « hors sujet ». On nous a répété jusqu’à la nausée que cette opération était soutenue par la « communauté internationale ». Les gouvernements de la Chine, l’Inde, la Russie, l’Allemagne, le Brésil. ont fait part de leurs réserves ? Ce n’est pas un problème, puisqu’ils se sont abstenus ! D’autres se sont déclarés franchement hostiles. Qu’importe : la « communauté internationale » existera sans eux. Plutôt que d’informer sur leurs arguments et de tenter de les comprendre, avant de soutenir ou de réprouver leurs positions, on a traité tous les réfractaires par le mépris. Quant aux arguments de ceux qui, en France même, émettent des objections sur le fond ou s’opposent à cette guerre-là, ils ont été relégués, dans les meilleurs des cas, dans les « tribunes libres
Comment expliquer ce traitement médiatique ?
Henri Maler. On peut être tenté d’expliquer ce traitement par le poids des marchands d’armes dans le paysage médiatique français. Le cas du Figaro, propriété de Serge Dassault, qui fournit l’armée française (et qui a aussi vendu des avions à Kadhafi) est presque caricatural. Mais ce serait un raccourci. Ce qui domine, c’est le suivisme des grands médias à l’égard de la prétendue « communauté internationale », des institutions politiques et militaires, et de l’unanimisme des partis dominants en France même. Cette déférence institutionnelle se nourrit des croyances partagées, sinon par tous les journalistes, du moins par les chefferies éditoriales. Dès lors, la propagande menace de dévorer l’information et de défigurer le débat public