Soutenir Israël ? Pas en notre nom ! (avril 2002)

Le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRF) usurpe la représentation des juifs de France et récidive régulièrement [1]

Lors de la seconde Intifada [2] , le CRIF appelait à soutenir la politique de l’État d’Israël. Le 5 avril 2002, une tribune collective dont j’étais l’un des signataires était publiée dans Le Monde dénonçait cette usurpation.

Une précédente tribune à laquelle je m’étais associé, publiée dans Le Monde en octobre 2000, sous le titre « En tant que juifs », dénonçait la prétention du gouvernement israélien à représenter tous les juifs.

Soutenir Israël ? Pas en notre nom !

Le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) appelle à manifester le 7 avril [2002]l non seulement pour protester contre les attaques de lieux de culte, mais pour "soutenir Israël". Alors que le nettoyage militaire bat son plein dans les territoires occupés, ce soutien prend une signification bien particulière. Prétendant parler au nom des Juifs du monde entier, les dirigeants israéliens et les porte-parole communautaires usurpent la mémoire collective du judéocide et commettent un détournement d’héritage. Reprenant le mot d’ordre des opposants américains aux croisades impériales, nous répondons : "Pas en notre nom !" Ariel Sharon a en effet résolu, avec le soutien de George W. Bush, d’écraser la résistance palestinienne, de détruire ses institutions, d’humilier ses dirigeants et d’acculer leur peuple à un nouvel exode. Le jour de Pâques, les informations télévisées nous ont offert le spectacle dégoûtant d’un président "étasunien", affalé en tenue décontractée de week-end, réclamant cyniquement un surcroît d’efforts et de bonne volonté à un Yasser Arafat assiégé dans ses locaux, privé d’eau, et éclairé à la bougie ! Devant la tragique solitude du peuple palestinien, la "communauté internationale" rivalise en démissions et capitulations honteuses.

Les ministres travaillistes israéliens exécutent docilement la politique du pire ! Les dirigeants arabes ne font rien pour faire respecter les droits du peuple palestinien. Prompts à emboîter le pas aux légions impériales américaines au nom du droit international, les dirigeants européens se contentent au mieux de bonnes paroles lorsque les troupes de Sharon bafouent ouvertement les résolutions de l’ONU ! Les belles âmes intellectuelles, qui se sont émues, à juste titre, du sort des réfugiés kosovars ou des bombardements sur Grozny, se taisent sur le sort des réfugiés palestiniens et se lavent les mains devant les murs calcinés et les ruines de Ramallah !

Pleins de compassion pré-électorale envers les victimes d’actes antisémites que rien, et certainement pas le soutien au peuple palestinien, ne peut justifier, nos gouvernants deviennent pudiquement silencieux devant les crimes commis par les troupes d’occupation en Cisjordanie ! Ceux et celles qui justifient le droit au retour des juifs en Israël, au nom d’un droit du sang millénaire, refusent le droit du sol aux Palestiniens ! Les dignitaires des Nations unies s’accommodent des humiliations infligées à l’Autorité palestinienne ! Ceux qui prétendent administrer la justice universelle détournent la tête devant les "liquidations extra-judiciaires", les exécutions sommaires de prisonniers, et les crimes de guerre d’Ariel Sharon !

Reconnu par l’Autorité palestinienne et par nombre de gouvernements arabes, le fait national israélien est désormais établi de manière irréversible. Mais une paix durable exige la reconnaissance réciproque de deux peuples et leur coexistence fondée sur les droits égaux. Les Israéliens ont un Etat souverain, une armée puissante, un territoire ; les Palestiniens sont parqués dans des camps depuis un demi-siècle, soumis aux brutalités et aux humiliations, assiégés sur un territoire en peau de chagrin : grande comme un département français, la Cisjordanie est lacérée de routes stratégiques, criblée de plus de 700 check points, hérissée de colonies. Il n’y a pas symétrie entre occupants et occupés.

Le retrait inconditionnel de l’armée israélienne des territoires occupés et le démantèlement des colonies ne constitueraient même pas une réparation de l’injustice faite aux Palestiniens, mais seulement l’application d’un droit formellement reconnu depuis trente-cinq ans, des résolutions 242 et 337 de l’ONU jusqu’à la résolution 1042 du Conseil de sécurité. Bush demande au contraire toujours davantage de concessions et de gages aux victimes. Sharon séquestre leurs représentants, dynamite leurs maisons, tandis que son armée bloque les secours sanitaires. Cette politique du pire conduit tout droit à la catastrophe non seulement le peuple palestinien menacé d’un nouvel exode purificateur, mais aussi le peuple israélien entraîné dans la spirale suicidaire de ses dirigeants. Car quel peut être l’avenir d’un Etat fondé sur l’oppression, l’injustice et le crime ? Et quel peut être l’avenir d’un peuple fuyant ses malheurs et ses angoisses dans une escalade meurtrière ?

Il était prévisible qu’à force d’assimiler le judaïsme à la raison d’Etat israélienne et de présenter les institutions juives comme des ambassades officieuses d’Israël, les apprentis sorciers du Grand Israël finiraient par être pris au mot, ce qui n’en rend pas moins odieux et inadmissibles des attentats contre des synagogues et des écoles.

Nous condamnons les agressions qui visent une communauté en tant que telle et rendent les juifs collectivement responsables des exactions commises par le gouvernement israélien. Nous condamnons toute dérive antisémite de la lutte contre sa politique. Nous condamnons, pour raisons tant morales que politiques, les attentats contre les populations civiles en Israël. Les actions contre les colonies et l’armée d’occupation relèvent en revanche d’une résistance historiquement légitime et d’une défense de droits imprescriptibles. Il y a trois mois encore, le ministre israélien de l’intérieur Ouzi Landau annonçait dans Le Monde (14 décembre 2001) une "lutte à mort" contre les Palestiniens, aussi longtemps que ces derniers auraient une goutte d’espoir. Ce désespoir sciemment entretenu constitue ainsi le terreau dans lequel s’enracine la violence extrême.

Alors que Sharon avait promis la sécurité aux Israéliens, leur pays est devenu l’endroit du monde où les juifs sont le plus en insécurité. Liant le sort de son peuple à la guerre illimitée contre le terrorisme décrétée par George W. Bush, il était pourtant clair que sa politique du pire deviendrait une machine infernale à fabriquer des kamikazes. Dénonçant toute dérive raciste ou antisémite en France comme au Moyen-Orient, solidaires des droits nationaux et démocratiques du peuple palestinien, nous refusons l’escalade guerrière et sa chronique d’un désastre annoncé. Nous exigeons l’application des résolutions de l’ONU, le retrait inconditionnel d’Israël des territoires occupés, le démantèlement des colonies et la reconnaissance immédiate par l’Union européenne d’un Etat palestinien laïque et souverain.

Daniel Bensaïd, Rony Brauman, Suzanne de Brunhoff, Liliane Cordova-Kaczerginsky, Marc Cramer, Joss Dray, Rachel Garbaz, Gisèle Halimi, Samuel Johsua, Francis Kahn, Pierre Khalfa, Hubert Krivine, Isabelle Kzwykowski, Dominique Lévy, Henri Maler, Willy Rozenbaum, Nicolas Shashahani, Catherine Samary, Michèle Sibony, Pierre Vidal-Naquet, Olivia Zemor

 Lire aussi, ici même : « En tant que juifs ».

Notes

[1Communiqué du Conseil représentatif des institutions juives de France, en date du 7 décembre 2017 : "Le Crif salue la décision historique du Président américain Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël, et le transfert prochain de l’Ambassade des États-Unis" et "appelle le Président Emmanuel Macron à engager notre pays dans la même démarche courageuse."

[2Mouvement de révolte des Palestiniens,de septembre 2000 jusqu’à environ février 2005

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