Émancipation II. Démocratie, révolution, émancipation (2)

Cette contribution a été publiée dans un cahier intitulé Emancipation et sous-titré Petits essais de marxologie tatillonne en marge de quelques bouquins récemment parus [1]. Voir en fin d’article les circonstances et le sommaire de de sa publication.

À propos de l’ouvrage d’Antoine Artous, Marx, l’État et la politique  [2]


Cher Tony,

J’ai lu ton livre (dont je mentionne les pages entre parenthèses) en m’imposant les mêmes « règles » que celles que j’ai évoquées en préambule du texte que j’ai consacré au livre de Jacques Texier [3] : engager une discussion sans préjuger d’éventuelles divergences politiques ; mettre mes fragments d’analyse à l’épreuve des tiens (et réciproquement).

Quand il existe des recoupements avec les thèmes abordés à l’occasion de la discussion du livre de Texier [4], je n’y reviens que pour résumer mon propos antérieur, préciser ou compléter. J’ajoute que j’ai choisi de discuter ton bouquin en me limitant à la fin et en ne convoquant ce qui précède que dans la mesure où tu le réinvestis dans la quatrième partie : au-delà du capitalisme. J’ai parfois complété par des remarques sur tes autres contributions : « Emancipation sociale et formes politiques. Quelques éléments pour poursuivre la discussions » (ESFP) et « Sur la représentation politique » (SRP).

* Préambule : histoire et stratégie

Au-delà du capitalisme : le communisme. Comment atteindre cet « au-delà » ? Marx - je commence par des banalités- tente de fonder l’enchaînement de multiples nécessités : nécessité de la lutte politique de classes, nécessité de la conquête politique du pouvoir, nécessité de la dictature du prolétariat, nécessité de la transition au communisme, nécessité de deux phases du communisme.

Mais de quelles nécessités s’agit-il ?

Nous sommes apparemment d’accord, pour reprendre tes propres termes, sur l’existence d’une « tendance à dissoudre le moment stratégique dans le simple dévoilement d’une nécessité historique » (ESFP) [5]. Et cela vaut aussi bien pour la transformation de la lutte économique en lutte politique que pour la poursuite de la lutte des classes jusqu’à la dictature du prolétariat et pour la période de transition que couvre cette dictature. Quelques remarques complémentaires cependant.

1. Nécessité de la lutte politique de classes. Tu soutiens qu’il existe chez Marx un « changement de statut de la lutte politique ». J’avoue ne pas percevoir ce changement. Il me semble qu’il faut distinguer deux questions :

- la question de la lutte pour l’émancipation politique qui, depuis la lettre à Ruge de septembre 1843 ou Sur la question juive au moins, est toujours présentée par Marx comme un moment nécessaire de la lutte pour l’émancipation sociale, alors que l’émancipation politique est comprise comme une forme inachevée de l’émancipation humaine ;
- la question de la lutte politique pour la conquête du pouvoir qui, depuis les Gloses marginales critiques sur l’article de Ruge, est comprise comme un « moment constitutif », pour reprendre ta propre expression, de la lutte pour l’émancipation sociale.

Ces deux aspects sont étroitement liés, sans qu’il y ait, du moins à mes yeux, le moindre « changement de statut de la lutte politique ».

2. Nécessité de la révolution permanente et de la dictature du prolétariat. Tu commences par établir que le concept de dictature du prolétariat désigne un objectif stratégique et que le concept de révolution permanente (provisoirement associé au précédent) désigne un processus historique (p. 277-280). On peut douter d’un tel dédoublement. Je crois au contraire que la portée stratégique du concept de dictature du prolétariat est lourdement grevée par sa présentation comme issue inéluctable.

3. Nécessité de la transition (sous dictature du prolétariat). Tu ne te prononces pas directement sur cette question, mais je crois nécessaire de préciser deux points :

- Marx n’évoque qu’une seule transition : la transition au communisme pour lequel il distingue deux phases. Mais la première phase est déjà communiste. Ce n’est pas une simple querelle de mots (transition, phase) mais une question de fond. La théorie de la double transition, en particulier quand on isole sous le nom de socialisme une étape intermédiaire dotée de caractères stables (et de surcroît réalisable dans un seul pays) est une « innovation » théorique fort dangereuse.
- Marx est fort discret sur les tâches politiques spécifiques de cette phase de transition. Sans doute parce que la nécessité historique se porte garant de leur accomplissement. Si la transition est une transition vers la première phase du communisme, c’est le communisme de cette première phase qui comme visée stratégique (et non comme fatalité historique, une fois encore) doit orienter la transition. Acceptons avec Marx et Engels d’être prudents sur les recettes destinées aux marmites de l’avenir : on peut au moins indiquer quels plats on envisage de faire cuire. Acceptons, avec Marx et Engels, de laisser l’histoire ouverte aux aléas et aux circonstances : on peut au moins indiquer à quoi les circonstances peuvent être favorables ou défavorables et, pour faire face aux obstacles, quels projets ces obstacles peuvent compromettre [6]. Une transition aveugle sur son but immanent ne rendrait guère très lucide : ne resteraient que des tactiques sans stratégie, au mieux borgnes, au pire aveugles.

Une dernière remarque préalable : Lénine, plus que tout autre, s’est efforcé de donner une consistance stratégique aux indications de Marx sur le parti communiste, la lutte politique, la dictature du prolétariat, la socialisation de la production, la transition au communisme. Ce qui ne signifie nullement – cela devrait aller de soi – que cette stratégie ait été adéquate. Mais de quels outils disposons-nous pour en juger ? Evidemment pas d’un code de procédure mis à la disposition du tribunal de l’histoire que l’on érige à la hâte une fois la défaite avérée. Une stratégie adéquate n’est pas nécessairement une stratégie victorieuse. Encore faut-il, en revanche, tenter d’évaluer en quoi et comment une stratégie peut concourir à la défaite de ceux qui la mettent en œuvre.

Reste donc à examiner - en reprenant le fil de ton livre - ce qui se passe au-delà de la prise du pouvoir.

I. Retours sur la dictature de prolétariat et dépérissement de l’État

1. Sur la Commune et la dictature du prolétariat

Après avoir retenu l’interprétation stratégique de la dictature du prolétariat qui est, en dépit des ambiguïtés des textes de Marx, la seule recevable, tu passes directement à l’examen de la portée de l’analyse marxienne de la Commune comme « nouvelle forme de représentation du corps social » (p. 280-285, résumé dans SRP, p. 10-11).

1.1. Sur la Commune

L’historicité de La Guerre Civile en France une fois reconnue, tu fais valoir, à son propos, deux négligences des commentateurs :
- la négligence de la « nature de la structure territoriale de base » ;
- la négligence du « nouveau mode de représentation politique ».

Le premier point s’éclaire par le second qui est d’abord mis en discussion. Tu soutiens que la Commune n’est pas seulement une forme d’auto-administration décentralisée (comme la République girondine ou le « self-government » anglais), mais une « réorganisation de l’espace socio-politique à travers une nouvelle forme de représentation du corps social » (p. 281-282). Ainsi, la critique de l’indépendance de l’État n’est pas seulement une critique de l’excroissance bureaucratique, mais aussi une critique de la représentation politique moderne. Mais, sur ce dernier versant, les leçons de la Commune ont pour effet ou pour résultat, non d’esquisser une forme de démocratie directe, mais de détecter un nouveau mode de représentation (p. 282)

Quels en sont, de ce point de vue et selon toi, les principaux caractères ?

- D’abord, ce « gouvernement de la classe ouvrière » repose sur « une base territoriale unifiée socialement ». La conséquence, pour toi, est immédiate : l’espace défini par l’exercice du suffrage universel reposant sur cette homogénéité sociale est d’emblée en rupture avec l’abstraction politique moderne. (p. 282-283) ;
- Ensuite, ce nouveau mode de représentation prend la forme d’un système pyramidal qui permet, selon des modalités spécifiques, d’ « assurer la présence de l’unité socio-politique de base en tant que telle dans le mouvement de la représentation, au sein de la pyramide elle-même », notamment par l’exercice du mandat impératif (p. 283).

Il est vrai, comme tu le soulignes, que la structure pyramidale de la représentation que Marx évoque dans son analyse de la Commune n’a guère attiré l’attention des commentateurs. Mais ton interprétation ne me paraît pas complètement satisfaisante. Pour deux ordres de raison :

Premier motif d’insatisfaction : tu prêtes à Marx des arguments et des conceptions qui me semblent étrangers à son texte et à sa démarche.

- Il est vrai que la Commune est une forme politique territoriale. Mais Marx ne dit nulle part que si elle constitue une forme adéquate à l’émancipation du travail, c’est parce qu’elle repose sur une base sociale homogène ou relativement homogène. C’est peut être un fait. Mais ce fait n’est pas invoqué comme tel (voir SRP, p. 11).
- Il est vrai que la Commune est une forme politique qui contribue à résorber la séparation entre la société civile et l’État. Mais il me semble que l’idée d’un « encastrement du politique dans le social » est étrangère à Marx et, en tout cas, fort équivoque. Ce que tu vises ainsi serait plus rigoureusement exprimé, me semble-t-il, sous la forme suivante : la représentation n’est plus la représentation abstraite (obtenue par abstraction) des individus isolés (et dominés) de la société-civile bourgeoise, mais la représentation concrète des producteurs associés. Ou du moins tend à le devenir, dès lors que la société devient une société où tous sont producteurs et, à ce titre, égaux.

Deuxième motif d’insatisfaction : ta présentation de la rupture introduite/repérée par Marx ne me paraît pas aussi claire que tu le dis. Je crois qu’il faut distinguer deux fils dans ton argumentation.

- À suivre le premier, la rupture se situerait essentiellement au niveau de la forme politique de la représentation : la structure pyramidale du pouvoir. Tu présentes la forme du fédéralisme de la Commune telle que Marx l’analyse comme une « rupture avec la représentation politique moderne ». (Voir également SRP, p. 5-7, 10-11). La structure pyramidale du pouvoir, dont seul le premier échelon repose sur l’élection au suffrage universel, est en rupture avec les formes historiquement prises avec la représentation politique moderne. Si cette structure pyramidale fait problème, ce n’est pas seulement en raison du sort limité qu’elle réserve au suffrage direct, mais surtout parce que la rupture fondamentale ne se situe pas à ce seul niveau, mais dans l’articulation les formes de la domination politiques appelées à devenir le « pouvoir public » des producteurs associés et les formes de socialisation, essentiellement coopératives, appelées à réaliser l’association des producteurs.

_- À suivre le second fil de ton argumentation, en revanche, la rupture se situerait précisément au niveau du contenu social de l’émancipation (et donc de la « représentation ») : l’association des producteurs, précisément. La rupture consiste alors dans le fait, comme tu l’écris dans une de tes contributions (SRP p. 5-7), que la « représentation directe » du social se traduit, entre autres, par la structure pyramidale du pouvoir » (souligné par moi). Mais, justement, ce que Marx n’éclaire pas, c’est le rapport qui existe entre la Commune et les coopératives, entre la fédération des communes de bases et la fédération des coopératives, entre la forme du pouvoir public et la forme de l’appropriation sociale. S’agit-il d’une seule et même forme, comme le préconise le mutuellisme proudhonien que tu invoques à ce propos ? Ou s’agit-il de formes distinctes, comme on peut le penser dès lors que le pouvoir public n’a pas seulement pour fonction de coordonner la production et la répartition et d’absorber, du niveau local au niveau international, la mise en œuvre de la production socialisée ?

Quoi qu’il en soit, il ne me semble pas que l’essentiel de la rupture tienne à la forme de représentation adoptée ou trouvée. La rupture avec la représentation politique dépend de son rapport avec l’association des producteurs. Autrement dit, quand la représentation est reconduite à un présupposé social nouveau, elle change de sens et devient simple procédure : la représentation politique fait place à la délégation contrôlée. Voir plus loin.

Ainsi, l’analyse de Marx laisse ouvertes plusieurs questions et notamment celles-ci :

- La domination politique du prolétariat doit-elle se passer du suffrage universel ? Autrement dit, doit-elle réserver le droit de vote aux seuls producteurs ? La question est d’importance, car il ne revient pas au même de présenter la limitation du droit de suffrage et d’éligibilité comme une mesure d’exception (dictée par les exigences de la lutte contre les représentants des anciennes classes dominantes) ou d’une mesure de transition (adoptée pour reconduire d’emblée l’élection à un statut de producteur à vocation universelle) : ce qui me paraît pour le moins fort périlleux.
- Les formes politiques de la domination du prolétariat doivent-elles être identiques aux formes de son émancipation sociale ? En d’autres termes, les formes communales-républicaines sont-elles ou non distinctes des formes coopératives ? Le pouvoir public en général se confond-il avec l’association de producteurs ?

Tu poursuis ton travail de déchiffrement, en soulignant que l’analyse de Marx, en dépit de la rupture qu’elle introduit avec « la problématique moderne de la représentation politique », va connaître un « destin peu compréhensible », dont témoigne l’évolution d’Engels (p. 283-284). Reste alors à examiner les « suites » au sein de la 2e Internationale et dans l’œuvre de Lénine.

1.2. De Marx à Lénine

Tu tentes alors d’éclairer par les circonstances historiques le sort que Lénine réserve au texte de Marx : Lénine « ne rend pas compte de ce qui fait la spécificité du système de représentation décrit pas Marx ». Sa lecture relève de « ce que l’on pourrait appeler un radicalisme démocratique ». (p. 285-287). Mais, second volet de cette lecture, Lénine comprend les fonctions de l’État comme des fonctions économiques qui ne prennent pas en compte l’existence du despotisme d’usine. (p. 287-288).

Puis tu examines les particularités du pouvoir des soviets [7]. (…) Parenthèses, pour marquer l’inachèvement, et non la dérobade !

2. Sur le dépérissement de l’État [8]

La thématique du dépérissement de l’État - de l’État politique ou État de classe, de l’État politique séparé ou État de la bourgeoisie - est une thématique constante dans l’œuvre de Marx. Condition et conséquence de l’émancipation humaine, ce dépérissement désigne un processus dont l’abolition de l’État serait la conséquence.

2.1. Un point aveugle ?

Ce dépérissement de l’État est à la fois un point focal et un point aveugle. Tu soutiens qu’il s’agit surtout d’un point aveugle. Et tu recours, sauf erreur de ma part, à deux arguments :

- Le premier argument repose sur la structure théorique de l’argumentation : en recourant à une analyse transhistorique de l’État, Marx et Engels manqueraient - au moins partiellement - ce qui fait la spécificité de l’État moderne et donc, si je t’ai bien compris, ce qui est indépassable dans cet État.
- Le second argument repose sur une contradiction majeure de l’argumentation : le dépérissement de l’État présenté comme équivalent au passage du gouvernement des hommes à l’administration des choses serait technocratique et passerait par pertes et profit l’analyse du despotisme d’usine.

Sur le premier point, je crois que la perspective transhistorique fait effectivement problème : moins peut-être parce qu’elle tend à dissoudre l’analyse spécifique de l’État moderne, mais surtout parce qu’elle présente la nécessité du dépérissement de l’État comme un résultat nécessaire, dans le cadre d’une analyse qui conjoint une nécessité logique (si l’État est né de la division de la société en classe, la suppression de cette division engendre logiquement la disparition de l’État) et une nécessité dialectique où se lit une version affaiblie de la dialectique de la négation et de sa négation [9]. En tout cas, je souscris à la question que tu poses : comment comprendre le dépérissement de l’État, non en fonction d’une approche transhistorique (et tautologique) sur l’État et l’existence des classes, mais en fonction « des tendances et contradictions présentes au sein même du capitalisme » (p. 295). ?

Sur le second point, je crois également que l’on ne peut que souscrire à ton argumentation s’agissant de la pénombre technocratique qui enveloppe l’idée d’une administration des choses.

- Quand « le pouvoir public perd son caractère politique », cela ne saurait impliquer, en toute rigueur, qu’il « fait place à l’administration des choses » ou à « l’administration de la production » (p. 291-292)
- Quand la coopérative assure partiellement la relève de la représentation, il devient indispensable de prendre en compte les effets de la division du travail ? (p. 292-293).

J’ajouterai simplement qu’il me semble que l’on peut radicaliser ton analyse. Ce qui n’est pas pensé dans le processus de dépérissement de l’État, c’est non seulement son rapport avec le dépérissement du despotisme d’usine, mais également avec l’ensemble des rapports et des techniques de pouvoir qui sous-tendent l’existence de l’État et son rôle (et qui menacent pas conséquent de reconduire les rapports de domination). L’apport de Foucault sur ce point est décisif.

Une fois encore, c’est au rapport entre la forme de la domination politique appelée à se transformer en pouvoir public et la forme de l’émancipation appelée à se réaliser en association des producteurs que nous sommes renvoyés. À ce titre, même si je ne suis pas totalement convaincu par ta présentation, il faut reprendre ta comparaison des formulations divergentes de Marx et Engels : entre celles qui reposent sur « l’équivalence entre étatisation et disparition de l’État » et celles qui distinguent la réorganisation sur une base locale (les coopératives) et « la centralisation des moyens de production » (p. 294-295). [10]

Puis, comme dans le chapitre précédent, tu examines les « suites » de la question du dépérissement de l’État chez Lénine et dans la révolution russe (p. 297-309). (…) Parenthèses, pour marquer l’inachèvement, et non la dérobade !

Reste la question décisive : faut-il, en raison des obscurités de la perspective du dépérissement de l’État (et de son renversement désastreux dans le cours de la révolution russe) renoncer à cette perspective ?

2.2. Un point focal – Clarification préalable.

Marx nous a laissé en héritage et surtout en jachère des analyses et des concepts inachevées, équivoques et parfois peu acceptables. À nous de poursuivre, de remettre en culture et de faire le tri. Mais ce travail se heurte d’emblée à une difficulté, somme toute banale, qui est cependant la source des plus grandes confusions : faire la part entre le vocabulaire et les concepts.

Le vocabulaire de Marx est parfois devenu pour nous peu utilisable, alors même que les conceptions correspondantes peuvent s’avérer valides et/ou fécondes. Ainsi, quand Marx distingue « l’État politique » (ou, plus brièvement encore, l’État) et le « pouvoir public », nous risquons, à tout moment, de charger ces termes d’un contenu (d’un « dénoté » ou d’un « connoté », pour faire plus chic) qui altère leur concept. Pouvoir « public » laisse penser que son antonyme est un pouvoir ou un espace « privé », comme le sont la famille ou la propriété, alors que pour Marx ce pouvoir « public » s’oppose d’abord à l’État politique et repose sur le dépassement de la société civile-bourgeoise, dominée par l’intérêt « privé ». Mais avec l’ « État politique », l’affaire ne se présente pas mieux. Sans l’adjectif, le dépérissement de l’État suggère que la société est immédiatement rendue à elle-même, dans une parfaite immanence : cette tentation existe chez Marx, mais seulement à l’état de (coupable…) tentation. Avec l’adjectif, le dépérissement de l’État politique, laisse penser que c’est le politique, comme instance ou pratique de coordination de la vie sociale qui disparaît : cette tentation qui renvoie cette coordination à une simple administration « des choses » existe chez Marx, mais une fois encore seulement à l’état de (coupable…) tentation.

Pourtant - et c’est le plus important - les conceptions elles-mêmes sont (relativement) claires. L’État désigne l’institution qui exerce des fonctions sociales diverses, mais prises dans le rapport de domination entre les gouvernants et les gouvernés. « Politique » est l’adjectif qui correspond à ce rapport de domination et le distingue, du moins en droit, des autres relations d’oppression et/ou d’exploitation sociales. Cet État ou État politique peut cristalliser ou exercer le rapport de domination sous deux formes : sous la forme d’une intrication (voire même d’une fusion) entre le rapport de domination politique et les rapports d’oppression sociale, soit sous forme d’une séparation à la fois entre d’une part les acteurs institutionnels du rapport de domination et le rapport de domination lui-même et d’autre part les rapports d’oppression ou d’exploitation proprement sociales : tel est l’État politique séparé, non par parce qu’il existe une institution particulière, mais parce que les acteurs du rapport de gouvernement et ce rapport de gouvernement sont séparés des acteurs et des rapports d’oppression.

Comment garder, quitte à les mettre en discussion, les conceptions sans entretenir la confusion sémantique ? On pourrait mettre ça aux voix. Je décide de façon autocratique de garder provisoirement les termes sans perdre de vue les conceptions correspondantes.

* Vers une révision ? – C’est que l’ensemble de tes remarques convergent en direction d’une critique et d’une révision fondamentales : la nécessité de faire droit - contre Marx lui-même - à une conception de l’État moderne qui permette de repenser les rapports entre démocratie et émancipation sociale.

II. Retours sur l’État moderne et la démocratie

Dans ce qui suit, guidé par le seul souci de relever d’éventuelles équivoques et de vérifier notre compréhension réciproque, je prends le risque d’adopter une présentation un tantinet « scolaire » (et d’enfoncer peut-être des portes ouvertes…).

1. Aliénation et abstraction politiques

Je partage (à ma façon, bien sûr), quelques arguments fondamentaux de ta lecture du manuscrit de 1843 , dit « manuscrit de Kreuznach » : Critique du droits politique hégélien. Mais…

1.1. De l ‘aliénation à l’abstraction politique

La critique de l’abstraction politique, dans les premiers textes de Marx, est prise dans une problématique de l’aliénation inspirée par Feuerbach. Est-ce une raison suffisante pour l’abandonner ?

a) Aliénation et abstraction

Ce serait le cas si Marx - comme le laissent penser certains commentateurs - se bornait à reconduire la problématique de Feuerbach et pensait l’aliénation comme un simple produit de l’aliénation de la conscience et/ou comme un simple phénomène dénué de consistance. Or pour Marx l’aliénation est comprise d’emblée comme le processus et le résultat du devenir étranger de l’activité sociale des sujets réels, socialement définis, et des produits de cette activité.

Cette aliénation culmine dans l’abstraction qui caractérise l’État moderne. Mais cette abstraction qui domine les hommes n’est pas une simple fumée. L’abstraction est pensée par Marx comme un processus et un résultat dotés d’une efficace qui lui est propre. Du même coup, la vie imaginaire du citoyen est une forme de sa vie réelle. Et cette abstraction réelle - imaginaire parce qu’elle est réelle - se vérifie par les deux traits qui caractérisent l’État moderne : la représentation et la bureaucratie. En conséquence, Marx analyse la représentation politique, non comme une délégation de volontés individuelles, mais comme une organisation de la société civile-bourgeoise. Une organisation par et dans la séparation, constitutive - au sens fort - de l’État politique moderne. La forme politique d’un contenu. Jusque-là, il me semble que je me tiens au plus près de ce que tu écris dans son bouquin.

La question qui se pose alors est la suivante : Cette séparation/abstraction peut-elle être surmontée, et comment ? Et, dans la foulée (si j’ose dire…), la représentation politique moderne peut-elle être /doit-elle être abolie ? Si j’ai bien compris, ta réponse est la suivante : elle doit être dépassée, mais non supprimée ; le moment de l’abstraction politique doit être maintenu et refondu. Et c’est là, me semble-t-il, que les choses se compliquent. Pourquoi ? Parce que, pour des raisons politiquement compréhensibles, tu prends le risque d’oublier en cours de route ce que tu exposes toi-même.

b) Abstraction et abstraction

Toute mise en équivalence - dans un rapport d’égalité et d’inégalité - repose sur une abstraction pensée ou réelle. En ce premier sens, qui est aussi un sens faible, l’abstraction politique est une mise en équivalence des êtres humains en qualité de citoyens, abstraction faite de toutes leurs particularités personnelles et sociales. Les droits politiques égaux et leur exercice sont la réalisation de cette abstraction. Leur universalisation, sous la forme notamment du suffrage universel, est l’universalisation de cette abstraction réelle. En ce sens, il existe un « moment nécessaire de l’abstraction dans la détermination de la citoyenneté ». Ou, ce qui revient (presque) au même, il est clair que « l’abstraction citoyenne est un moment constitutif de la démocratie ». (SRP, p. 8 et p. 9).

Mais ce n’est pas cette abstraction-là ou plutôt l’abstraction sous cette forme générale que vise Marx quand il critique l’abstraction politique : c’est, plus exactement et plus fortement, l’abstraction sous sa forme spécifiquement politique.

L’abstraction politique n’existe comme telle - comme égalisation réelle, mais abstraite ou comme communauté réelle, mais illusoire - que par et dans son opposition avec le présupposé dont elle est issue – dont l’État politique s’abstrait : la société-civile bourgeoise [11]. En ce deuxième sens, qui est le sens fort du concept marxien, l’abstraction politique est une mise en équivalence qui s’abstrait de son présupposé et s’oppose à lui. Elle est proprement politique en raison de la séparation qui la produit et de la contradiction qui en résulte. Le propos de Marx est de dépasser cette contradiction. Elle est proprement politique dans l’exacte mesure où elle s’abstrait de son présupposé sans l’abolir. Le propos de Marx est de viser à l’abolition du présupposé de l’abstraction, et en ce sens d’en finir avec elle.

Plus exactement, la critique de l’abstraction politique est indissociable de la critique de l’émancipation politique : ce qui est encore latent dans le manuscrit de 1843 devient explicite dans Sur la question juive. Les limites de l’émancipation politique sont inscrites dans son incapacité d’agir sur son présupposé. Mieux : l’émancipation politique se confond avec le maintien de son présupposé. « C’est parce que l’individu n’est pas libre que la société s’élève jusqu’à cette abstraction d’elle-même que constitue l’abstraction politique. Avec l’abrogation politique du cens, non seulement la propriété privée n’est pas abolie, elle est elle-même présupposée » [12]. L’abstraction politique ainsi comprise n’est pas une simple mise en équivalence mais l’effet d’une dissociation réelle, d’une scission (Spaltung) entre l’État politique et la société civile. Et c’est comme expression philosophique de ce processus d’abstraction que Marx cite et critique Rousseau [13].

Avec l’abstraction politique, l’État s’abstrait de son présupposé : la société-civile bourgeoise. Il présente une communauté illusoire, mais réelle de citoyens abstraits qui présuppose l’absence de toute communauté véritable ou - ce qui revient au même- l’existence de la guerre de tous contre tous. Une communauté politique qui repose sur le déchirement civil. Mais il ne faut pas oublier en cours de route que c’est très précisément de la société-civile bourgeoise que l’État s’abstrait, comme tu le soulignes fort justement dans ton article de L’Homme et la Société : « Ce mouvement d’abstraction qui caractérise la politique moderne est à prendre aux deux sens du terme : l’État se sépare (s’abstrait) de la société civile et produit l’abstraction du citoyen » [14]. Ce processus d’abstraction est indissociable de son présupposé. Et c’est ce processus (plus que l’État moderne) qui « produit » le citoyen abstrait.

L’universalisation de cette abstraction réelle n’est pas vide de contenu et, en ce sens très étroit, formelle ou purement formelle. Elle est la forme d’un contenu, mais d’un contenu qui réside en dehors d’elle : la société-civile bourgeoise. Le dépassement de cette abstraction réelle ou de cette universalité abstraite ne peut pas s’effectuer par la réalisation d’un universel concret « incarné » (SRP, p. 9, ESFP, p.2), si par là on entend la figure du prolétariat ( quand Marx lui fera référence). En revanche, l’association du prolétariat, à condition de ne pas la comprendre comme l’universalisation de la condition de prolétaire (reconduisant le salariat et l’exploitation) est bien le fondement d’une résorption de l’abstraction/séparation constitutive de la « modernité ».

L’universalisation de l’abstraction politique sous la forme de l’universalisation du droit de suffrage est-elle, pour Marx en 1843, « synonyme de dissolution de la société-civile bourgeoise au profit de la « vraie démocratie » ? (ESFP). Les formulations de Marx sur ce point sont très ambiguës ( l’une affirme une dissolution de fait, l’autre l’exigence de cette dissolution), et en tout cas provisoires. L’universalisation du droit de suffrage est « la contradiction non cachée », et donc l’exigence de sa dissolution : très exactement, l’exigence d’une révolution sociale.

Le moment de l’abstraction (au sens faible) ne peut pas être supprimé, mais la forme politique de cette abstraction (au sens fort) est bien appelé à disparaître.

1.2. De l’abstraction à la représentation

Il me semble que le processus d’abstraction caractéristique de l’État politique moderne est un processus d’abstraction de la société civile-bourgeoise : une communauté imaginaire (mais réelle) qui résulte du déchirement de la société civile et donc de l’absence de véritable communauté sociale, celle- là même que Marx dans le manuscrit de 1843 et dans une lettre de la même époque désigne comme « démocratie véritable » ou réelle.

a) De la contradiction

Il faut y insister : Marx ne se borne pas à enregistrer la séparation de la société civile et de l’État (comme Hegel), mais il la présente comme une contradiction (à la fois exposée et déniée par Hegel). Et la critique de Hegel par Marx peut-être présentée ainsi : Hegel tente de surmonter cette séparation par des médiations qui reconduisent la contradiction sans la résoudre. La représentation politique des corporations est exemplaire de cette tentative désespérée. La représentation politique moderne, qui pousse l’abstraction à son comble (et dont le suffrage universel est l’expression) vaut reconnaissance de cette contradiction irrésolue : la revendication du suffrage universel se présente alors comme exigence de dépassement de cette contradiction : dépassement de l’aliénation dans le cadre de l’aliénation [15]. En ce sens, d’ailleurs le combat pour la République démocratique comme forme la plus favorable à la lutte du prolétariat prolonge pour une large part ces premières indications.

b) De la superstition

Mais la critique de Marx franchit un pas supplémentaire (qui tire les conséquences des critiques antérieures) avec la critique de la superstition politique dans Sur la question juive.

L’émancipation politique - l’abstraction-représentation moderne - est prisonnière de son présupposé : la société-civile bourgeoise. La superstition politique consiste précisément à croire que la volonté politique arc-boutée aux formes modernes de l’État (et donc aux formes modernes de la représentation) peut soit constituer une forme d’émancipation ultime doit s’en remettre aux formes d’État qui résultent de la société-civile bourgeoise pour transformer, voire révolutionner celle-ci. Bref, l’État moderne qui résulte de l’abstraction et constitue cette abstraction même ne peut agir réellement sur son présupposé. C’est donc d’un même mouvement qu’il convient de dépasser la forme moderne de l’abstraction et la société-civile dont elle résulte. De cela, si je t’ai bien compris, tu peux aisément convenir : hic Rhodus, hic salta. Je doute fort que Marx et Engels nous proposent les moyens adéquats à ce franchissement. Mais ils n’éludent pas le problème.

La question devient alors : quelle est la forme de représentation adéquate à l’émancipation sociale qui ne reconduise pas l’abstraction propre à la société civile-bourgeoise ? Car il y a représentation et représentation….

2. Représentation et représentation

Il est indéniable que, pour Marx, une forme quelconque de représentation est nécessaire en un sens très précis : contrairement à une simplification abusive, Marx n’oppose jamais à la démocratie représentative une hypothétique démocratie directe, du moins s’agissant de la forme de domination politique du prolétariat.

2.1. Rousseau ou Marx ?- De la représentation abstraitement-universelle à la représentation concrètement- particularisée

La critique de l’aliénation politique dans les écrits de 1843-1844 est nettement différente et démarquée de celle de Rousseau. Rousseau critique dans la représentation une aliénation des volontés individuelles. Marx critique dans la représentation une aliénation de l’homme générique – de l’essence sociale de l’homme. Quand Rousseau critique la représentation comme impensable séparation entre l’homme et sa volonté, Marx la critique comme réelle séparation entre l’homme social et le citoyen. Aliénation de la volonté ou aliénation de la socialité : la différence est décisive. En effet, la critique de Rousseau se résout dans le concept de volonté générale ; la critique de Marx dans la perspective de la révolution sociale.

La seule démocratie directe pensable avec Marx (mais à contresens d’autres modèles de socialisation de la production présents dans son œuvre) est la démocratie de la production à l’œuvre dans les coopératives, pour peu qu’elles se généralisent et se fédèrent après la prise du pouvoir. Mais cela change tout : car le maintien d’un « pouvoir public » - fût-il représentatif - n’est plus fondé alors sur le déchirement de la société civile ; il n’est plus à proprement parler une abstraction de ce déchirement. Il ne se présente pas comme l’universel en acte, mais comme moment particulier, reconnu et reconnaissable comme tel.

2.2.Tocqueville ou Marx ?- De la représentation comme contradiction à la représentation comme procédure.

Marx critique la représentation politique parce qu’elle reconduit la séparation entre la société-civile et l’État et l’organise. Autrement dit, la représentation politique reconduit la domination qui est impliquée dans cette séparation. Mais il ne critique pas toute forme de « représentation ». Là nous rencontrons les obstacles sémantiques qui obscurcissent la clarification conceptuelle. Le terme de représentation reconduit le sens associé à la représentation politique. Bien que le terme de délégation soir connoté négativement comme délégation/accaparement du pouvoir, c’est peut-être celui qui est le moins mauvais pour marquer la rupture entre des députés et des délégués.

La représentation politique n’a jamais été ni en droit ni en fait un simple « reflet » du peuple et de sa souveraineté. Ni en droit : la plupart des conceptions théoriques de la représentation en font un mécanisme de sélection qui, intentionnellement ou pas, se traduisent par l’attribution de fonction de domination. Ni en fait : parce que la représentation remplit largement le rôle que ses théoriciens lui attribuent : sélectionner les gouvernants et donc les dominants. Et c’est ce rôle qui décide aussi bien de la nature du mode de désignation (l’élection plutôt que le tirage au sort), que du mode de fonctionnement. La représentation politique est la forme de consécration/dissimulation de la séparation.

Ce qui est représenté politiquement – le citoyen abstrait – est construit par le mécanisme même de la représentation politique. Ce qui est représenté ce n’est jamais, l’individu concrètement socialisé - les individus socialisés.

Que serait une « représentation » non- politique ? Ce ne serait plus, à proprement parler une « représentation », dont les règles de formation et de fonctionnement (le suffrage et le parlement) requièrent, voire façonnent les « représentés ”. Ce serait une exposition du peuple : une mise sur scène de sa volonté. Une auto-détermination ou, plus exactement, un moment particulier de son auto-détermination.

L’abstraction de la représentation change de sens avec la réappropriation. La représentation cesse d’être l’expression et la mise en forme d’une contradiction irrésolue, mais une procédure de désignation. Une modalité particulière de l’auto-détermination du peuple qui a ressaisi ou qui est en train de ressaisir le contrôle de la socialisation, notamment par la réappropriation des moyens de production.

La double séparation entre la société civile et l’État et entre les travailleurs et les moyens de production ne peut pas être totalement supprimée : la société reposant entièrement sur elle-même et le travailleur individuel recouvrant immédiatement la propriété de ses moyens de production. En revanche, le moment démocratique du pouvoir public peut devenir un moment particulier de la communauté véritable. Et cette communauté véritable peut être bâtie autour de l’appropriation collective des moyens (et des conditions) de la production. Plus exactement l’association des producteurs ressoude les travailleurs et les moyens de production et se donne une détermination particulière sous la forme d’un pouvoir public qui en est l’émanation.

Comment ? C’est une autre affaire. ..

Henri Maler

Source

Henri Maler, Émancipation - Petits essais de marxologie tatillonne en marge de quelques bouquins récemment parus, supplément à Critique communiste, revue trimestrielle de la LCR, mars 2002.

Les quelques textes réunis sous ce titre n’ont pas été rédigés, initialement, en vue d’une publication, mais en vue d’une discussion, au sein d’un groupe de travail - « Démocratie et émancipation sociale » - dont l’activité a permis de préparer une journée d’étude en juin 2001 : les contributions parues dans la revue Contretemps rendent compte de cette journée

Au sommaire :

Misère la marxologie ?
I. Démocratie, révolution, émancipation (1) :
À propos du livre de Jacques Texier : Révolution et démocratie chez Marx et Engels. Voir ici même

II. Démocratie, révolution, émancipation (2) :
À propos de l’ouvrage d’Antoine Artous, Marx, l’Etat et la politique. Ci-dessus.

III. Démocratie et appropriation sociale (1) :
Forme politique de la domination du prolétariat et formes sociales de l’émancipation chez Marx et Engels. Voir ici même

IV. Démocratie et appropriation sociale (2) :
À propos du livre d’Yves Salesse, Réformes et Révolution : Propositions pour une gauche de gauche.Voir ici même

Notes

[1Supplément à Critique communiste, revue trimestrielle de la LCR, mars 2002.

[2Éditions Syllepse, 1999. Sauf indication contraire, les renvois aux œuvres de Marx et Engels se réfèrent à la dernière édition parue aux Éditions sociales.

[3Voir ici-même

[4ibidem

[5C’est aux équivoques des énoncés de Marx sur la nécessité historique que l’on peut rapporter les équivoques sur la temporalité historique. Tu soulignes à plusieurs reprises que Marx semble prisonnier d’une conception linéaire du processus et de la temporalité historiques. J’en suis d’accord, mais il me semble que non seulement ce n’est pas la seule représentation qui existe chez Marx, mais surtout que sur ce versant, les énoncés dépendent de la structure de l’argumentation et notamment des figures de la dialectique qu’elle met en œuvre.

[6Que la domination politique du prolétariat doive compter avec ses adversaires, seuls les naïfs ou les cyniques qui croient aux révolutions sans tentatives de contre-révolution (quand ils se présentent comme des révolutionnaires) ou aux réformes sans contre-réformes (quand ils s’avouent plus ouvertement réformistes) excluent a priori toute contrainte et toute violence. Ce sont les mêmes qui non seulement croient que le mouvement est tout, mais qui rangent les voiles par vent contraire.

[7Sur le système des soviets, voir également SRP, p. 7, 11-12.

[8Sur ce point, je ne suis pas rigoureusement l’ordre de ton exposé.

[9Sur les effets de la « « théorie générale de l’État », pour reprendre son expression, voir quelques indications précieuses de Jean Robelin. Jean Robelin, Marxisme et socialisation, Méridiens-Klincksieck, 1989, chap. II et III, pp. 127-164.

[10C’est cette reprise que je propose dans l’ « essai » qui suit cette lecture du livre d’Antoine Artous., sous le titre « Démocratie et appropriation sociale (1) ». Voir ici-même

[11Sauf erreur de ma part, l’abstraction n’est pas seulement telle parce qu’elle exclut un particulier parmi d’autres, mais parce qu’elle est abstraction du particulier comme tel.

[12Sur la question juive, éditions, Aubier, p. 71-77.

[13Sur la question juive, op.cit., p. 122-123. De même, l’abstraction marchande et l’abstraction juridique ne sont pas de simples mises en équivalence, mais des processus réels indissociable de leurs présupposés. Le glissement du “ sens fort ” au “ sens faible ” de la notion d’abstraction est, ici encore, la source de dangereux contresens.

[14Antoine Artous, « Marx, L’État moderne et la sociologie de l’État », in L’Homme et la société, n° 136-137, 2000. Figures de l’ « auto-émancipation » sociale, p. 115.

[15Manuscrit de 1843 et lettre à Ruge de septembre 1843.